Arnaud S. Maniak c’est toute la partie graphique de l’intérieur du recueil Bienvenue à Sturkeyville de Bob Leman. Il formera un binôme de choc avec Stéphane Perger qui vient de finaliser l’illustration de couverture (qu’on vous montrera une fois les 70 % atteints).

Quand j’ai découvert son travail en dotwork sur son blog, notamment sa série animalière, je m’étais promis de collaborer avec lui dès que j’en aurais l’occasion. Voilà qui est fait.

Petite interview du petit dernier dans l’équipe. Comme il est impliqué dans ce projet depuis plusieurs mois et donc un des rares à avoir lu le recueil complet, il est bien placé pour vous mettre l’eau à la bouche.

Arnaud, tu es nouveau dans l'équipe, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Arnaud : Alors dans la vie je suis bibliothécaire et à côté, je suis illustrateur sous le pseudo de « Maniak » dans l'association Les Artistes Fous. C'est une asso qu'on a fondée en 2012 avec quelques amis issus du forum Mad Movies, pour éditer nos nouvelles et nos illustrations dans des anthologies à mi-chemin entre l'auto-édition et le fanzine. Depuis, on a publié 11 bouquins dont le dernier, Souvenirs du Futur, est tout fraîchement sorti de chez l'imprimeur...

En plus de ça, je fais quelques infidélités aux Artistes Fous en réalisant des illustrations pour d'autres éditeurs ou fanzines (Les Moutons électriques, les éditions Luciférines, Rivière blanche…), mais aussi des affiches et quelques pochettes de disques pour des groupes de punk et de métal. En plus des dessins perso... En fait, depuis que je sais tenir un crayon je n'ai jamais cessé de dessiner. En bon amateur de fantastique et d'épouvante, je fais plutôt des choses un peu « sombres » : du côté de mes inspirations on trouve des artistes comme Giger ou Druillet, mais aussi l'iconographie religieuse, Albrecht Dürer, etc. Plus récemment, la découverte tardive de Virgil Finley a été un gros choc graphique. Les dessins pour Bienvenue à Sturkeyville se situent un peu à la croisée de tout ça, je pense.

As-tu suivi une formation en arts graphiques ?

Arnaud : Non, je suis autodidacte... je n'ai d'ailleurs pas vraiment cherché de méthode ni même essayé de progresser, simplement je n'ai jamais cessé de dessiner, pour mon propre plaisir, et sans le vouloir je me suis amélioré.

Bon, je pense que ce qui aide aussi c'est de beaucoup s'intéresser au dessin, aux artistes, voir comme les « grands maîtres » font, etc., mais là aussi ce sont des attitudes qui m'ont semblé naturelles en tant qu'amateur de graphisme.

Quel effet ont produit sur toi les nouvelles de Bob Leman ?

Arnaud : Je ne connaissais pas du tout et je suis content d'avoir découvert cet auteur.

J'aime beaucoup son univers, très pulp, avec plein de monstres et de créatures étranges. Mais il y a aussi un petit quelque chose en plus. Le fait que les nouvelles soient reliées par ce même lieu imaginaire, Sturkeyville, n'y est pas pour rien. Ça donne une autre dimension à l'irruption du fantastique et de l'étrange. On ne s'en rend pas tout de suite compte, mais une fois qu'on a lu plusieurs nouvelles, la ville et ses habitants continuent d'exister entre les textes. Bob Leman laisse suffisamment de blancs dans son univers pour que ça produise cet effet, et un peu comme avec Vermillion Sands de Ballard, le total est supérieur à la somme des parties.

Et on est dans un registre fantastique/horreur que j'aime bien, celui de l'inquiétante étrangeté, avec cet univers qui a un je-ne-sais-quoi de tordu, bizarroïde, et Leman est assez avare d'explications, le mystère n'est pas toujours levé. Bref, tout ça nous emmène dans une dimension un peu à la croisée entre Lovecraft et Twin Peaks, pour résumer grossièrement.

Quelle est ton approche pour illustrer ces textes ?

J'ai choisi d'illustrer immédiatement chaque texte après sa lecture plutôt que de tout lire d'une traite. Déjà pour qu'un texte plus évocateur qu'un autre ne parasite pas mon inspiration, et puis aussi pour maintenir un peu le suspense. Puis au fil de la lecture des nouvelles, justement, ces connexions imaginaires entre les textes se sont faites et j'ai eu l'idée d'illustrations plus générales qui représenteraient un peu les paysages de Sturkeyville et ses environs...

Certaines nouvelles ont tout de suite provoqué des images assez évocatrices, d'autres ont demandé un peu plus de boulot pour traduire graphiquement certains concepts de l'auteur... Dans l'ensemble j'ai essayé de rester dans un style proche des illustrations qu'on pouvait retrouver dans les pulps comme Weird Tales... à ma sauce. Et de ne pas trop coller au texte non plus, mais plus à l'ambiance qui s'en dégageait.

Et pour finir, pour faire comme Bob Leman et donner du liant entre les illustrations, je vais faire des cartes imaginaires, un peu rétro, de Sturkeyville et ses environs... Elles seront à l'intérieur des rabats du livre, ça devrait vraiment donner une identité et une cohérence à l'ensemble.

Tu ne vas pas seulement dessiner pour ce projet, tu vas aussi fabriquer les badges et superviser le brassage de la bière.

Oui, les badges c'est quelque chose que je faisais déjà pour l'asso des Artistes fous. J'ai toujours aimé les goodies et tout ce qui est produit dérivé, du coup ça me paraissait indispensable d'en faire... Au début c'était un ami qui nous les fabriquait à prix sympa, mais très vite j'ai ressenti le besoin de faire ça moi-même, du coup j'ai investi dans une machine professionnelle. Ce qui nous permet de faire un peu ce qu'on veut, et notamment des badges en petites séries, des choses uniques parfois, et souvent dans une taille un peu plus grande que le format 25 mm standard, et donc plus adaptée à des illustrations avec du détail.

Et la bière, bon... c'est un peu ma deuxième passion après les livres ! Ça a vraiment commencé quand j'ai rencontré Agathez, la brasseuse du Roulier. D'ailleurs, c'est elle qui brassera la bière Sturkeyville ! Bref, c'est une brasseuse complètement rock'n'roll, on a immédiatement accroché. Elle m'a fait découvrir des bières incroyables, des choses que je ne pensais même pas possibles... Sa brasserie est l'une des plus petites en France et elle utilise une énorme proportion de houblon pour faire ses bières, ce qui leur donne énormément de goût et de caractère. Elles ont beaucoup de personnalité et changent vraiment du tout-venant. De mon point de vue, il y a un parallèle évident à faire avec les livres édités par Scylla.

Pour la « Sturkeyville » je pense qu'on va partir sur une « Framhouse Ale », c'est un style de bière moderne et américain, inspiré par les Saisons brassées en Belgique, quelque chose de beaucoup plus ancien et traditionnel, avec l'idée derrière d'adapter « Feesters in the lake » avec des levures belges à la place de la malédiction ! En plus, la Saison c'est un style de bière simple et populaire, on est totalement raccord avec le côté pulp. Enfin, une grosse dose de houblons américains devrait y apporter fruité et amertume, et achever de lui donner une belle personnalité. À partir de cette idée, la brasseuse va élaborer une recette, c'est un exercice qu'elle adore faire et dans lequel elle excelle, je lui fais totalement confiance... Et peut-être qu'on ajoutera une petite dose d'ésotérisme, comme faire une lecture à voix haute de passages choisis de Bob Leman pendant la fermentation... pas sûr que ça aura vraiment un effet sur les levures, mais l'idée m'amuse déjà beaucoup !

Tu travailles sur de nouvelles contreparties, tu peux nous en dire plus ?

On va faire une belle sérigraphie d'une de mes illustrations. Plus exactement ce sera un composite avec l'illustration réalisée pour l'étiquette de bière justement. J'avais fait quelque chose de très « comic book d'horreur » avec un visage terrifié par des silhouettes de créatures, avec des tentacules et d'autres membres un peu « weird »... et ce dessin avait des bords un peu éthérés, comme des nuages, ce qui techniquement me permettait de l'adapter très facilement au format étiquette de bière. Et du coup, cet aspect nuageux m'a donné l'idée de faire de ce dessin le ciel de mon illustration représentant le panneau d'entrée à Sturkeyville... et par miracle les deux illustrations s’emboîtaient parfaitement, donnant naissance à une nouvelle image format poster qui représente autant le côté chronique de petite ville que le côté fantastique horreur.

Ensuite le carnet de notes avec une couverture un peu « mise en abyme » comme une pub rétro... J'ai déjà des idées, le côté fausse pub me donne l'idée de m'inspirer des publicités pour les éditions Elvifrance... bon peut-être avec moins de filles nues et d'argot, mais ce sera tout aussi coloré avec des « catch phrases » amusantes, très publicitaires. Ça fera un bel objet je pense, ceux qui aiment le pulp vont totalement s'y retrouver.

Dans la dernière ligne droite de la campagne, tous les originaux seront mis en vente. C’est une première pour toi ?

Oui, même de manière générale on est sur le projet le plus ambitieux auquel j'ai participé pour le moment. Après, dans les faits, tous mes originaux sont plus ou moins en vente, mais comme je l'ai dit, le plaisir c'est mon moteur principal pour dessiner, du coup ça donne beaucoup d'illustrations très personnelles, dont je ne me sépare pas facilement, ou alors à des prix qui effraient peut-être les acheteurs, qui sont souvent peu au fait des prix pratiqués pour un original.

Et en plus je ne suis pas quelqu'un de très soigneux, mes originaux c'est taches d'encre, crayon mal gommé et compagnie et du coup ce n’est pas toujours vendable, en fait...

Là, comme c'était le deal dès le départ, j'ai fait des choses très propres, sur du papier choisi exprès et tout... Enfin, je dis ça, mais il y en a quand même un ou deux où j'ai griffonné l'idée sur un carnet et ça a fini par devenir l'original, mais ils sont beaux quand même ! Bref, je serais bien content que quelques-uns soient vendus...

Pour conclure, voilà le dessin qui servira pour la sérigraphie (format 21 x 42 cm, limité à 50 exemplaires). Cette contrepartie sera ajoutée la semaine prochaine avec les dernières de cette campagne :